Devant les nouvelles qui s’accumulent, devant l’injustice qui se répète, je crois qu’on est plusieurs à se sentir impuissant·es. De mon côté, j’hésite souvent entre l’envie de tout éteindre puis de me blottir contre ma fille Billie et l'urgence de se lever et d’agir dans l’espoir d’un changement.
Je cherche l’équilibre entre être au moment présent avec elle et lutter. Recueillir la force que me donne son amour, pour pouvoir faire face. Je crois qu’il faut récolter de petites fioles invisibles d’amour pour continuer. De petites fioles qui nous donnent du courage. Le 8 mars, pendant ces 8 minutes de silence, j’ai eu l’impression que chacunes de ces fioles s’ouvraient en même temps.
C’est cette force que j’essaie de capter, depuis le début de Mères au Front. À travers les vidéos que je réalise, j’espère, parfois, pouvoir redonner un peu de courage, un peu de poésie. À chacun de ces projets, des souvenirs de force et de beauté me reviennent.
Je revois Audrey-Lise Hervieux, qui marche doucement à travers une forêt brûlée, ses enfants à ses côtés, avançant sur une terre appartenant à ces ancêtres, lors du tournage du vidéo de la chaise des générations. Je revois les petites mains noires de ses enfants, qui touchaient les troncs brûlés, semaient de la joie autour d’eux. Je revois cette douce caresse mère-fille, laissant la joue d’Audrey-Lise noirci par les cendres. Cette même cendre transformée en peinture pour être utilisée à nouveau par des enfants pour la création d’une chaise, symbole de leur espoir.
Souvenir de ces cinquante mères au front réunies, sautant avec l’intensité de lionnes protégeant leurs enfants, pendant le vidéoclip de la chanson « Mères », d’Ingrid St-Pierre, créé en coréalisation avec Anaïs.
Dans plusieurs tournages, souvenir de plusieurs générations de femmes de la même lignée se tenant ensemble, unies dans ce même élan, ce même combat, cette même tendresse puissante.
Dernièrement, j'ai enregistré des témoignages bouleversants lors de rencontres avec les militant·es de Mobilisation 6600. Des voix qui tremblent, des silences qui en disent long, des récits d’attachement à un territoire qu’on tente d’arracher. Je me souviens de ces mots prononcés : « Si ce lieu n’existait pas, je n’existerais plus. »
À chaque projet, tellement de rencontres inspirantes … Et à chaque fois, quelque chose d’indescriptible se dégage. Un amour dans les regards, une force. Et c’est exactement ce qui c’est passé aussi le 8 mars.
À travers tout le travail que nécessitait l’organisation rapide de cette journée, j’ai pensé à toutes ces personnes qui, chez Mères au Front, se donnent corps et âme pour que les choses existent, simplement parce qu’elles y croient, comme menées par une force invisible qui se tisse dans l’ombre, qui ne se voit pas toujours, mais qui soutient.
J’ai l’impression de l’avoir vue, le 8 mars, dans les mains qui se cherchaient et se trouvaient, dans les corps alignés, dans cette chaîne immense qui se formait. Et surtout, dans le silence. Un silence plus silencieux que tout ce qu’on aurait pu imaginer. Un silence surnaturel.
Pendant huit minutes, cette force invisible s’est matérialisée. Elle était là, immense et palpable. Tous les visages tournés vers un même horizon, j’observais des larmes chez certain·es qui coulaient doucement. Pendant un instant, on aurait dit un barrage rempli d’amour dont l’eau s’écoulait par les yeux.
En regardant les images des autres lieux où des gens se sont mobilisés cette journée-là, je vois le même silence qui s’étend, la même force qui circule. Comme si, plus le poids est partagé par tous·tes, plus il devient supportable.
Et dans ce silence, on dirait même qu’on y retrouve une légèreté nouvelle.
Une beauté qu’aucune image ne peut vraiment capturer.
Qui restera gravée en nous, comme une petite fiole invisible à ouvrir au besoin, pour rester lié·es.
Frédérique Bérubé, Mère au front pour Billie